Pour lutter contre les charlatans (et indirectement certains magnétiseurs peu scrupuleux), les médecins se sont organisés pour proposer un statut à leur pratique et faire légiférer sur l’exercice illégal de leur discipline.
Les grandes dates législatives de l’exercice illégal de la médecine
L’histoire du droit français est parsemée de tentatives visant à encadrer la pratique médicale. La révolution de 1789 a fait disparaître les corporations le 2 mars 1791 avec la loi Le Chapelier précisant « l'anéantissement de toutes les espèces de corporations des citoyens du même état et professions ». Les facultés de médecine sont quant à elles supprimées le 15 septembre 1793. Ces décisions laissent la porte ouverte à quiconque de se faire qualifier de médecin. Les titulaires d’un diplôme sanctionné dans un établissement reconnu par l’Etat ont alors tenté de faire entendre leur voix moyennant des sanctions.
La loi du 19 ventôse an XI
Deux personnes vont se charger de restituer l’autorité de la médecine : Vicq d’Azyr (1748-1794) et Jean Colombier (1736-1789). Mais ce dernier meurt quelques semaines après la révolution tandis que son collègue succombe cinq ans plus tard. C’est alors Antoine-François Fourcroy (1755-1809) qui prend le flambeau et qui va parvenir à faire promulguer cette loi du 19 ventôse an XI (10 mars 1803) qui encadre le statut de médecin comme une personne ayant obtenue le diplôme de docteur ou de chirurgien décerné par l’une des six écoles de médecine du pays. Plus précisément, deux catégories apparaissent :
Les officiers de santé qui peuvent exercer après deux années d’études dans le département où ils ont effectué leurs études. Ils sont recrutés pour faire face aux nombreuses demandes suites au guerres napoléoniennes et pour dispenser les soins les plus simples principalement à la campagne.
Les médecins (ou chirurgiens), docteurs en médecine après quatre années d’études, pour une patientèle plus aisée et située dans les grandes villes.
Le corps des médecins méprise ouvertement les officiers de santé considéré comme une sous-médecine, à l’image du commentaire de Michel-Augustin Thouret (1749-1810), premier doyen de la faculté de médecine après la révolution : « Leur science principale devra consister à reconnaître les cas où ils ne doivent pas agir ». Ce statut est le même que celui attribué aux charlatans, conjureurs, sorciers, magiciens et autres escrocs. De l’autre côté, un commentaire acerbe à l’époque critique également l’attitude paranoïaque du corps médical : « Le médecin est malade, malade de fièvre obsidionale. Il se vit entouré d'ennemis, rebouteurs, ostiers, sages-femmes, sœurs, prêtres, pharmaciens, officiers qui s'installent de plus en plus en ville. Il n'est personne qui ne l'exploite, et ses confrères sont d'abord des concurrents ».
L’exercice illégal de la médecine est maintenant sanctionné par une contravention de 1.000 francs (à comparer aux 1.250 francs de droit d’inscription pour les docteurs). La récidive peut être punie de six mois de prisons. Les procès sont très rares et portent principalement contre des escrocs/charlatans (une dizaine de cas sur les vingt années suivant la promulgation de la loi). Cette catégorie pour la police de l’époque regroupe les personnes qui ont excroqué de très grosses sommes d’argents (les plaintes sont peu nombreuses car la plupart des personnes ayant honte de leur crédulité). Il s’agit également d’apprentis chirurgiens mais aucunement de magnétiseurs ou guérisseurs toujours considérés dans les mœurs comme une médecine populaire.
La loi 30 novembre 1892
Il faut attendre presque un siècle pour voir apparaître une seconde étape dans l’arsenal juridique protégeant le monopole des docteurs en médecine. Ces derniers parviennent enfin, après des luttes innombrables et de nombreux freins dus aux différentes périodes révolutionnaires du XIXe siècle, à faire supprimer la légitimité des officiers de santé. Dans la réalité, ce corps avait déjà presque disparu si l’on compare la répartition de ces deux catégories : 11.254 docteurs et 5.668 officiers en 1866 et 12.324 contre 2.214 en 1891. Cette évolution n’étant pas étrangère à une disposition relative au service militaire de trois ans pour les officiers et de seulement un pour les médecins. L’article I spécifie dès lors que « nul ne peut exercer la médecine en France s'il n'est muni d'un diplôme de docteur en médecine ».
L’ordonnance du 24 septembre 1945
Une dernière date est à retenir dans ce parcours législatif de l’exercice illégal de la médecine. Il s’agit de l’ordonnance du 24 septembre 1945 qui fait suite à la création de l’Ordre des Médecins. Le projet initial date de 1847 afin de « dresser la liste des praticiens y exerçant, de signaler aux autorités administratives et judiciaires les cas de médecine illégale, d'exécuter les mesures de police médicale prescrites par les autorités » pour une mise en application le 7 octobre 1940. Remis en cause par le gouvernement provisoire de la République Française à Alger, l’ordre est dissout le 18 octobre 1943 avant de retrouver son statut deux ans plus tard sous la houlette de François Billioux (1903-1978), ministre communiste de la santé.
Cette nouvelle institution a entre autres pour mission de veiller « au maintien des principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine et à l'observation par tous ses membres, des devoirs professionnels ainsi que des règles édictées par le Code de déontologie »
L’article L.416-1 du code de la santé publique
C’est l’article L.4161-1 du Code de la santé publique qui précise le cadre actuel de l’exercice illégal de la médecine. En voici un extrait décrivant la personne pointée du doigt par le texte : « Il s’agit de toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d’un médecin, à l’établissement d’un diagnostic ou au traitement de maladies, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, par actes personnels, consultations verbales ou écrites ou par tous autres procédés quels qu’ils soient, ou pratique l’un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé prise après avis de l’Académie nationale de médecine, sans être titulaire d’un diplôme, certificat ou autre titre exigé pour l’exercice de la profession de médecin » ou encore de « toute personne qui, munie d’un titre régulier, sort des attributions que la loi lui confère ».
L’idée sous-jacente est de lutter contre toute forme de charlatanisme qui est défini par le code comme le fait de « proposer à des malades des remèdes illusoires ou insuffisamment éprouvés en les présentant comme salutaires ou sans danger ».
L’alinéa 4 spécifie par ailleurs que la personne qui procède à la saisine n’a pas à démontrer avoir personnellement souffert du préjudice directement causé par l’infraction pour pouvoir saisir la juridiction, ce qui permet d’agir contre quelqu’un dont on n’a pas subi directement le diagnostic ou traitement.
La constitution du délit
L’exercice illégal de la médecine est considéré comme un délit intentionnel, c’est-à-dire que la personne l’a exercé de manière volontaire, consciente et délibérée. Trois conditions sont nécessaires pour pouvoir qualifier un acte médical d’interdit.
L’accomplissement d’un acte médical
La première condition réside dans la réalisation d’un acte à caractère médical. C’est l’arrêté du 6 janvier 1962 qui fixe la liste réservée aux médecins. En voici quelques éléments : il s’agit de « toute mobilisation forcée des articulations et toute réduction de déplacement osseux, ainsi que toutes manipulations vertébrales, et, d’une façon générale, tous les traitements dits d’ostéopathie, de spondylothérapie (ou vertébrothérapie) et de chiropraxie », du « massage prostatique », du « massage gynécologique », de « tout acte de physiothérapie aboutissant à la destruction si limitée, soit-elle des téguments, et notamment la cryothérapie, l’électrolyse, l’électrocoagulation et la diathermie-coagulation ».
L’infraction peut avoir lieu tant au stade du diagnostic que du traitement. Le diagnostic est considéré comme un acte consistant à déterminer la nature de l’affection dont la personne est atteinte. Le traitement réside dans l’ensemble des moyens thérapeutiques et les prescriptions hygiéniques mis en œuvre dans le but de guérir une maladie.
Le défaut de qualité
La deuxième faute repose sur le statut professionnel de la personne qui exerce l’acte médical (diagnostic et/ou traitement). Il faut, pour ne pas exercer de manière illégale, être titulaire d’un diplôme de médecine sanctionnée par l’université Française ou reconnue comme équivalent par celle-ci et être inscrit à l’Ordre des Médecins. Un médecin qui ne fait plus partie de son ordre et qui poursuit ses diagnostics ou prescriptions rentre dans l’exercice illégal de la médecine.
Le code précise toutefois que certaines personnes ne peuvent être condamnées alors qu’elles pratiquent un acte considéré comme un acte médical sans le diplôme correspondant. Il s’agit des étudiants en médecine, les sages-femmes, les pharmaciens-biologistes pour l’exercice des actes de biologie médicale, les pharmaciens qui prescrivent des vaccins ou effectuent des vaccinations, les physiciens médicaux, les infirmiers ou gardes-malades qui agissent comme aides d’un médecin ou que celui-ci place auprès de ses malades, les détenteurs d’une qualification professionnelle.
Une habitude ou une direction suivie
La dernière condition réside dans la fréquence. Un acte isolé ne suffit pas. Il faut une continuité dans la répétition des actes délictueux.
Le statut du contrevenant
Deux attitudes différentes sont défendues par le législateur suivant que le fautif détient ou a détenu un titre de docteur en médecine et les autres.
L’exercice illégal de la médecine par un nom — médecin
Sont ici directement concernés les magnétiseurs, radiesthésistes… L’activité n’est pas interdite (car reconnue dans le domaine fiscal) mais peut le devenir lorsqu’elle effectue des pratiques en dehors de leurs compétences. Un magnétiseur ou radiesthésiste procède à cet exercice illégal dès qu’il émet un diagnostic et des prescriptions ayant pour visée la guérison d’une personne.
La cour de cassation estime par exemple qu’un radiesthésiste peut exercer aux côtés d’un médecin mais en se limitant à son rôle d’informateur. Cette particularité pour les radiesthésistes n’est pas indifférente au succès qu’a connu cette discipline à partir des années 1930 avec par exemple la création d’une section de radiesthésie médicale au sein de l’Association des Amis de la Radiesthésie regroupant pas moins de deux cents médecins. Mais le radiesthésiste sans diplôme de médecine ne peut proposer ni diagnostic ni traitement, il peut juste accompagner le médecin dans le cadre de ses compétences.
L’exercice illégal de la médecine par un médecin
Il s’agit ici des médecins ne remplissant pas les conditions nécessaires pour exercer en France :
Non inscrit à l’Ordre des Médecins ;
Sans la nationalité française ;
En cas de complicité du médecin prêtant son concours à des personnes dépourvues de diplôme.
Les sanctions
Pour les personnes physiques, les sanctions peuvent s’élever à 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. Cette sanction peut être complétées par l’obligation d’affichage ou de diffusion de la décision prononcée et pour les professions réglementées dans le code de la santé publique une interdiction d’exercer de 5 ans jusqu’à une interdiction définitive.
La vigilance porte moins aujourd’hui sur la présence des magnétiseurs, rebouteux ou autres « médecines douces » qui devant l’arsenal juridique et scientifiques disposent d’une place (nombre de médecins ou d’hôpitaux font appel à des « coupeur de feu » par exemple), plutôt que sur les dérives sectaires (l’argument d’exercice illégal de la médecine étant régulièrement utilisé pour sanctionner les sectes en intégrant les personnes morales dans l’éventail des sanctions avec une amende pouvant atteindre 150.000 €).
En effet, la quasi-totalité des guérisseurs (pour prendre un terme générique regroupant les disciplines des médecines douces) se portent bien de tout diagnostic ou prescription de traitement. Ces informations sont clairement affichées sur les sites internet ou dans les cabinets. Par contre les autres professionnels non médicaux qui promettent des guérisons miraculeuses et des traitements qui sont plus efficaces pour vider un portefeuille plutôt que de soulager un patient sont très scrutés.
De la loi à son application
La jurisprudence (actes de jugement émis lors de procès) apporte une approche très évasée des notions de diagnostic et de traitement : « L’acte de diagnostic nécessite une grande variété d’opérations, dont chacune est de nature à réaliser un des éléments constitutifs de l’infraction [et] il y a traitement dès qu’un but curatif est poursuivi, quels que soient les procédés employés et leur valeur réelle ou supposée ». Une personne est ainsi susceptible d’être en effraction non pas lorsqu’il met en danger la santé publique mais uniquement lorsqu’il rentre en concurrence avec le monopole des médecins.
Si les magnétiseurs peuvent être concernés par cette pratique, il n’en est pas de même de traitements psychologiques (exception faite de la psychanalyse) comme l’indique la jurisprudence : « le fait, par un individu non diplômé, de se livrer, en vue de guérir les maladies, à certaines pratiques de spiritisme, ne constitue pas à lui seul l’exercice illégal de la médecine ». La prière est également un acte de foi et non un acte illégal (tant qu’il n’y a ni diagnostic ni prescription de traitement ».
Un certain nombre de guérisseurs ont tenté, lorsqu’ils ont été attaqués, de faire jouer un article du code pénal de « non-assistance à personne en péril ». Cet argument a été rejeté car bon nombre de patients n’étaient pas en état de péril imminent.
Les dérives possibles
La sanction pour exercice illégal de la médecine ne signifie donc pas qu’il y ait sanction contre une « médecine illégale ». Les charlatans ne sont donc pas concernés par cette loi car ils ne remettent pas en cause le monopole des médecins. Être condamné pour exercice illégal de la médecine c’est subir une condamnation pour exercice de la médecine non légalisé par un diplôme sanctionnant un grade de docteur en médecine. La « médecine » du guérisseur n’est donc pas considérée comme bonne ou mauvaise mais uniquement comme illégale. Toute dérive ne rentre donc pas dans ce cadre et laisse la part belle à l’escroquerie.
Vers une ouverture ?
Les relations passées conflictuelles entre la médecine officielle défendue par les détenteurs d’un diplôme sanctionné par une école ou faculté reconnue par l’Etat et les magnétiseurs, surtout depuis les travaux de Mesmer, ont laissé une tension toujours sous-jacente entre ces deux disciplines. Il s’agit plus particulièrement d’une relation ambigüe entre d’un côté un rejet « officiel » et de l’autre une acceptation dans certains cas (mais toujours cachée) comme avec les « barreurs de feu ». Ce rejet trouve sa source plus profondément entre une pratique savante en constante évolution enseignée dans des écoles durant de nombreuses années et dont l’apprentissage est sanctionné par des diplômes et de l’autre une pratique empirique provenant d’un « don » ou d’une transmission et immuable à travers le temps.
L’union Européenne se veut plus ouverte dans le cadre du parcours de soin que ne l’est la France (la place de médecines parallèles est reconnue dans certains pays européens). La résolution du 29 mai 1997 indique que « l’importance [est] d’assurer aux patients une liberté de choix thérapeutique aussi large que possible, en leur garantissant le plus haut niveau de sécurité » et indique aux Etats membres de « s’engager dans un processus de reconnaissance des médecines non conventionnelles » et d’« élaborer en priorité une étude approfondie sur l’innocuité, l’opportunité, le champ d’action et le caractère complémentaire et/ou alternatif de chaque discipline non conventionnelle » dans le cadre non pas d’assimilation des deux disciplines mais bien au contraire d’une complémentarité.
Pour le moment le ministère des solidarités et de la santé reconnait potentiellement des effets positifs sur les symptômes ou la maladie de personnes consultants une médecine considérée comme « douce » ou « non conventionnelle » (homéopathie, hypnose, acupuncture, réflexologie, aromathérapie, magnétisme…) mais ne souhaite pas aller au-delà car ces disciplines ne reposent pas sur des études scientifiques ou cliniques ayant démontré leur efficacité ou leur non-dangerosité.
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