Episode souvent peu connu de la royauté, leur lien avec la guérison. Lors de leur sacre, les rois Français ne manquent pas de « toucher » les personnes atteintes d’écrouelles pour les soulager en indiquant la célèbre formule : « Le roi te touche, Dieu te guérit ».
Don royal ou don divin ? La place des religieux
Les rois ont progressivement tenté de faire basculer leur pouvoir en don royal en s’appropriant Saint-Marcoul mais également en faisant différentes démarches officielles auprès de l’église. Ce caractère divin est mis en avant à travers plusieurs paramètres :
ü Un pouvoir monarchique héréditaire qui se transmet de génération en génération qui assure la légitimité des monarques ;
ü Le caractère divin apparaît également au vu du nombre de personnes traitées mais avec certaines critiques acerbes contre Louis XIV par exemple en se demandant pourquoi le roi parvient à guérir des écrouelles quand il ne se soigne pas de la goutte qui l’a fait énormément souffrir toute sa vie ;
ü A partir de Charles VII (1422-1461), les rois cherchent à faire légitimer en vain leur pouvoir auprès de l’église par des ambassadeurs à la cour pontificale.
« Cette puissance miraculeuse qu'ont les rois de France de guérir par leur attouchement cette maladie presque incurable par les remèdes humains, est un don du ciel, qui n'a point de cause que la volonté du Tout-Puissant, qui manifestant ainsi par des miracles sensibles, sa prédilection pour les fils ainé de son église, les fait admirer et respecter de toutes les nations de l'univers... ». C’est ainsi que la notion de don surnaturel provenant de Dieu à une élite s’est progressivement installée et perdure encore chez un grand nombre de magnétiseurs qui ne souhaitent « transmettre » leur savoir que dans un protocole très spécifique et uniquement à certaines personnes (dernier enfant, avec seulement X personnes qui connaissent le cérémonial en même temps…).
Car il existe en effet d’autres personnes (magnétiseur, guérisseurs…) n’ayant aucun lien avec la royauté et parvenant aux mêmes résultats « miraculeux ». Cette concurrence n’est pas s’en mettre en rage certains rois. Les colères d’Henri IV (1589-1610) à ce propos étaient particulièrement terribles.
Ce don pour lutter contre les écrouelles, considéré comme « royal » et unique, était tout de même accepté dans la tradition à une frange du peuple mais peu représentée : au septième enfant mâle d’une fratrie ne comptant que de garçons. Ces traditions assorties à quelques spécificités dans la famille se retrouve dans d’autres folklores comme en Bretagne pour les enfants dont le père est mort avant leur naissance qui ont le don de guérir la gourme et les goîtres.
La cérémonie
La principale intervention des rois de France dans le toucher des écrouelles se réalise lors du sacre par un passage à Corbigny où sont conservés les restes de Saint-Marcoul. Pour la plupart très pieux, un grand nombre de rois poursuivent ce rite durant quelques moments forts de l’année chrétienne.
La séance du toucher
Le déroulé de la cérémonie n’est connue que depuis Louis IX (1226-1270) qui apporta une grande importance au fait religieux, comme en témoigne son surnom de Saint-Louis et ses différentes contributions dans la chrétienté dont l’achat de la couronne d’épine et la construction pour la recevoir de la Sainte Chapelle. Il n’a malheureusement pas pu se rendre à Corbigny directement suite à son sacre de 1226 du fait des révoltes des barons contre sa mère la régente Blanche de Castille (1188-1252).
La coutume veut qu’au troisième jour du sacre, les rois partent de Reims pour aller à Corbigny et visitent l’église de Saint Marcoul. Le roi, sortant de l’église après la messe est en état de grâce. Revêtu du manteau et du collier de l’ordre du Saint-Esprit il se trouve conduit dans le parc de l’abbaye où il procède à la cérémonie du toucher des écrouelles. Progressivement et du fait de la dangerosité des routes, les restes du saint furent portées à Reims où se déroulait la même procession.
Les malades arrivent de tout le royaume et parfois même au-delà. Ils sont dans un premier temps examiné par un médecins pour ne sélectionner que ceux atteints par les écrouelles, comme peut en témoigner ce récit sous le règne de Louis XIII (1610-1643) : « Aussitôt que les malades sont arrivés, ils sont visités des premiers médecins et ceux avec et reconnus malades de cette maladie sont enrôlés et ceux qui se feignent sont renvoyés ».
Le tri n’est pas anodin car il sert non seulement à éliminer ceux ne sont pas atteint d’écrouelles (le roi n’est censé soulager que cette maladie) que ceux venus chercher l’aumône distribuée après le toucher. « Le roi est suivi du grand aumônier, qui à chaque malade touché donne une aumône, aux étrangers de cinq sols et aux français de deux sols, et ne fait-on lever et sortir incontinent, de peur d’embarras et de peur qu’il n’aille encore prendre rang pour avoir deux aumônes ».
Cette double recherche de guérison et d’offrande ne se fait pas sans heurts comme en témoigne Du Laurens (1558-1609), premier médecin d’Henri IV (1589-1610) : « ceux qui ne sont pas atteints des scrofules sont renvoyés. Ce qui se fait avec une telle acclamation du peuple, que les Gardes du corps et les Archers de la garde ont assez de peine à apaiser le bruit, et à ranger les malades en leur place ». Le rôle du médecin (rémunéré pour sa présence), n’est pas anodin. Il s’occupe non seulement du tri mais également de la préparation du malade. « Le premier médecin était debout derrière les malades, tenant la tête de chacun des scrofuleux par derrière, il présente et laisse le Roi la face, lequel ouvrant sa main salutaire le touche » comme le précise toujours Du Laurens. Témoignage relaté par de nombreux premiers médecins, on constate aisément que ce ne sont qu’eux qui sont en relation prolongé avec les souffrants, le roi ne venant qu’effleurer le front du malade et prononcer sa célèbre formule « Le roi te touche, Dieu te guérit ». Le capitaine des gardes reste présent pour éviter tout débordement et pour que les malades ne touchent pas le roi (certains témoignages indiquent que leurs mains étaient attachées).
Le toucher des écrouelles : une épreuve
Cette pratique n’est pas anodine, que l’on soit roi ou simple citoyen. Les cérémonies regroupent entre quelques malades sous Charles X (entre 10 et 20) à près de 3.000 sous Louis XVI. En plus du nombre, il faut signaler que le mal concerné : des pustules qui sortent du cou et du visage avec une odeur qui peut être particulièrement fortes. Louis XIII (1610-1643) par exemple n’a que dix ans lorsqu’il procède à son sacre et au premier toucher des écrouelles. Jean Héroard (1551-1628) son premier médecin indique ainsi : « Puis va à la messe et, à dix heures et quart, revient dans la cour du logis où il y avait neuf cents et tant de malades des écrouelles, qu’il a tous touchés aussi sérieusement comme s’il y fut souvent exercé. Se repausa quatre fois mais peu, ne s’assist qu’un seule fois. Il blêmissait un peu de travail, ne le voulut jamais faire paraitre, ne voulut pas prendre de l’écorce de citron ». Le témoignage est identique du père Coton (1564-1626) interrogé par la reine Anne d’Autriche (1601-1666) « qu’il s’en était fort bien acquitté, même qu’avant que commencer il avait levé les yeux au Ciel, à l’imitation du feu Roi son Père, […]. La Reine demanda encore audit Père s’il n’avait point eu de crainte, lequel lui répondit, qu’à la vérité lorsqu’il en eut touché deux ou trois, il fit quelque semblant de se vouloir torcher la main, mais qu’il se rassura tout aussi tôt, et qu’il les toucha bien et diligemment après cela ».
L’aspect répugnant des malades incite également à mettre en place un protocole hygiéniste. « Le premier Me d’hôtel ou le Me d’hôtel en Jour tient une serviette trempée en Vin et en eau pour bailler au Roi et laver sa main après tant de salles attouchements et de là le Roy s’en va diner et d’ordre dine mal dégouté de l’odeur de la Vue de ces plaies et ces glandes puantes. Mais la charité chrétienne surmonte tout ». Le mélange de vin à l’eau fait office d’alcool et la serviette sert pour désinfecter les mains.
L’hygiène du roi
Le protocole se modifie progressivement en prenant plus de précautions sanitaires pour le souverain. Louis XVI utilise non plus une mais trois serviettes. « Le Roi ayant communié, touche ordinairement les malades. Trois Chefs du Goblet se trouvent au bout du dernier rang des malades, avec trois serviettes mouillées, différentes, mise chacune entre-deux assiettes d’or, pour en laver les mains de sa Majesté, qui vient de toucher les malades. Ces Chefs du Goblet présentent aux Princes du Sang ou légitimés ces trois serviettes en cet ordre : la première, trempée de vinaigre, au plus qualifié des Princes du Sang, la seconde, mouillée d’eau simple, à un autre Prince du Sang, et la troisième, trempée de fleur d’orange encore à un prince. Ou en l’absence des Princes, ces Officiers du Goblet remettrent ces serviettes entre les mains du Premier Maître d’Hôtel ou du Grand-Maître, s’il n’était pas Prince du Sang ». Ces trois serviettes servent donc à désinfecter, à rincer puis à parfumer, protocole que l’on retrouve dans les pratiques d’hygiène quotidienne du roi et dans l’acceptation du caractère « humain » du roi.
Le travail du roi se faisait certaines fois avec l’aide d’autres magnétiseurs comme pour le sacre de Louis XV (1715-1774), très peu enclin à poursuivre cette tradition et qui a délégué une grande partie de son travail. Le dernier sacre sans discontinuité est celui de Louis XVI le 11 juin 1775 à Reims. Napoléon 1er, tout en se faisant sacrer le 2 décembre 1804 à la cathédrale Notre-Dame de Paris, supprime de la cérémonie la guérison des écrouelles. Louis XVIII va régner sans pratiquer le toucher royal et Charles X sera le dernier roi français à appliquer le toucher le 29 mai 1825 mais devant une foule de quelques scrofuleux.
Les autres célébrations
Si le moment du sacre et le passage à Saint-Marcoul pour le touché des écrouelles constitue un incontournable du sacre depuis Saint-Louis, les rois continuent de toucher durant leur règne, principalement durant les quatre principales fêtes religieuses de l’année : Pâques, Pentecôte, Toussaints et Noël.
Certains rois s’y attèleront de manière bien plus régulière, comme Saint-Louis qui proposait des séances presque quotidiennes. Louis XI (1461-1483) touche les malades une fois par semaine. Claude de Seyssel, historien de Louis XII, en précise également la régularité des actes : « hypocrisie ni simulation, qui se réconciliait avec Dieu par confession (...) sept ou huit fois l’an, usait en même temps de la grâce (...) de guérir les écrouelles, ainsi qu’avaient fait les autres rois de France, ses prédécesseurs ».
Quelques anecdotes
Un seul roi aurait perdu le pouvoir de soigner les écrouelles. Il s’agit du premier dont on a la trace de cette guérison : Philippe Ier(1060-1108). Si Guilbert de Nogent indique à propos de Louis VI Le Gros (1108-1137) « Son père Philippe avait accompli avec ardeur les mêmes miracles glorieux, mais il avait perdu son pouvoir à la suite de je ne sais plus quelles fautes », tout le monde en connait précisément les raisons. Cela remonte au printemps 1092 lorsqu’il répudie Berthe de Hollande au profit de Bertrade de Montfort. Le concile d’Autun, qui réunit 32 évêques le 16 octobre 1094, prononce son excommunication. Le couple vit alors sous le coup des anathèmes de l’église, ce qui s’accompagne de la perte de son pouvoir de guérison.
Saint-Louis laisse une trace profonde de sa foi religieuse dans la lignée royale. Son petit fils Philippe IV le Bel (1285-1314) est frappé d’une attaque le 4 novembre 1314 lors d’une chasse. Il est ramené au château de Fontainebleau où il meurt le 29 novembre. Juste avant, le 27, il prodigue des recommandations à son fils Louis et, selon le témoignage du moine Yves de Saint-Denis, confie à son fils dans un entretien particulier le secret du toucher des écrouelles considéré alors comme les paroles saintes et dévotes. C’est en effet la période depuis son grand-père, où les rois de France veulent affirmer leur pouvoir thaumaturgique. Ecoutons le charmant poème de Guillaume Guiart (-1316) qui a été témoin de la vie auprès du roi entre 1296 et 1304 :
« A quiconque a la couronne
De la terre Ramenteueu
Qu’il fait, puisqu’il l’a receue
Tout son vivant, miracles beles.
Car il guerit des escroelles
Tant seulement par i touchier
Sans emplastres dessus couchier ;
Ce qu’autres roys ne puent faire ».
Louis X le Hutin (1314-1316) poursuit cette tradition et d’inaugurer le pèlerinage avec la cour sur le tombeau de Saint-Macoult à la suite de son sacre le 3 août 1315. Charles V (1364-1380) fait inscrire cette spécificité dans la donation solennelle faite au chapitre de Reims « par l’onction sous l'influence de la clémence divine, une telle vertu et une telle grâce sont répandues dans les rois de France que, par le seul contact de leurs mains, ils défendent les malades du mal des écrouelles : chose que démontre clairement l'évidence des faits, éprouvée sur François Ier (1515-1547). des personnes innombrables ». Charles VII (1422-1461) se rend à Corbeny en 1429 conduite par Jeanne d’Arc. Dans la lignée familiale, il cherche à faire légitimer son pouvoir auprès de l’église par des ambassadeurs à la cour pontificale.
Charles VIII (1483-1498) ne touche que six malades lors de son sacre mais procède à des guérisons lors de son expédition en Italie et également à son retour en France. François Ier (1515-1547) aurait touché 1326 scrofuleux en 1528. Il prend l’habitude de toucher à jours fixes, aux grandes fêtes du calendrier liturgique. Prisonnier en Espagne, il y poursuit son travail et c’est ainsi qu’un grand nombre d’Espagnols se retrouveront en France pour vivre les miracles royaux.
Henri IV (1589-1610) ne se rend pas au pèlerinage de Saint-Marcoul du fait de l’occupation de Reims. Son sacre s’est déroulé à Chartres.
Le sacre du fils de Louis XIII n’est pas sans rappeler l’exercice éprouvant nécessitant endurance (il toucha près de 2.500 malades) digne d’une performance physique et morale. « Ce qu’il faisait de si bonne grâce, avec tant de promptitude, de bonté et de dévotion, que tout le monde en était ravi, et quoiqu’il y eût un si grand nombre de malades, et que le temps fût fort chaud, Sa Majesté ne se reposa que deux fois pour prendre un verre d’eau ».
Louis XIV (1643-1715) poursuit cette activité tout au long de sa vie, même en pleine période de fistules comme le 13 avril 1686. La maladie le contraint certaines fois que le roi à annuler le toucher, comme il le fait le 8 septembre 1693 en pleine souffrance. Il ne touche pas le 1er novembre 1694 mais se force à respecter « cette pieuse coutume » le 24 décembre de la même année. Il arrive que certaines fois les malades ne se déplacent pas par peur d’une absence du souverain. C’est ainsi qu’en 1695 « « Le roi fit ses dévotions ; il ne toucha point les malades ; il n’en était point venu, parce que l’on ne savait point qu’il ferait ses dévotions ». Mais certaines fois le nombre est bien plus important, notamment lorsqu’il annule la cérémonie de Pâques et en double le nombre (environ 3.000) le 17 mai 1698. Cette cérémonie sert également à montrer que le roi reste en pleine forme, comme le 31 décembre 1686 alors qu’il sort d’une opération, ce qui permet de faire taire les rumeurs de sa mort.
Louis XVI (1774-1792) arrête l’exercice de ce don en 1789 qui l’associe trop au droit divin. Louis XVIII (1814-1824) n’a jamais touché les écrouelles et Charles X (1824-1830) le dernier roi à se faire sacrer, souhaite rétablir la tradition cérémoniale mais malgré une supplique envoyée par les habitants de Corbeny par l’intermédiaire du préfet de l’Aisne pour qu’il vienne toucher les écrouelles dans la ville, le dernier roi ne reste deux jours à Reims où il procède, le 31 mai 1825, au toucher de quelques écrouelles (entre 12 et 30).
Privilège français ?
La thaumaturgie n’est pas l’apanage des rois Français. C’est toute l’Europe qui dispose de ses propres « dons ». Les rois d’Espagne conjuraient les démons et délivrent les possédés. Les rois d’Hongrie guérissaient la jaunisse. Les princes de Bourgogne sont spécialisés dans la peste...
L’autre rivalité, et non des moindres pour les français, réside dans les rois d’Angleterre, également réputés pour guérir les écrouelles, désignées également là-bas comme « le mal du roi » (King’s Evil). Leur pratique étant légèrement différente, ne touchant pas directement le malade mais par l’intermédiaire d’un anneau ou d’une pièce de monnaie.
La conclusion va porter non pas tant sur le déroulé mais sur le taux de réussite de cette pratique. S’il s’agit d’un don (Divin), il ne faut pas s’attendre à des miracles collectifs, à des guérisons de masse. Rares sont les traces permettant de quantifier le taux de succès des toucher. On peut estimer à quelques pourcentages (1 ou 2% des scrofuleux) de personnes guéries lors des touchers royaux. Pour comparaisons, les registres du XVIIe siècle de l’abbaye de Corbeny de font remonter en moyenne que quatre guérisons par an.
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